Epistel an meinen besten Freund.

Epître

à mon meilleur Ami.*)


Emporté par des goûts volages
Sur le char de l’illusion,
Tu suivais la religion
Des réprouvés dei tous les âges.

Tu trompais ces pauvres maris;
Tu trahissais même les plus traîtresses:
De ces vieilles enchanteresses
Tu raillais les vieux favoris,
Qui, dans d’immortelles tendresses,
Des mêmes feux toujours épris,
Mettent toujours le même prix
A leurs éternelles maîtresses.
Tu t’attachais par air, et tu quittais par ton.
Tu dépensais indécemment la vie.
Les fiers accens de la saine raison
Etonnaient ton âme engourdie,
Et le flambeau de la philosophie
S’éteignait dans le tourbillon
Où tu promenais ta folie.

D’un air léger, publiquement,
Tu saluais ces demoiselles.
Un créancier était un insolent;
Tes passions étaient des étincelles.
Avec les sirènes du temps
Tu savourais les plaisirs de la table,
Et t’endormais dans leurs embrassemens
Après un souper délectable.
Tes valets étaient impudens;
Ton cheval de course impayable:
Et tu vivais avec l’essaim aimable
Des roués et des élégans.

Un époux aimait-il sa femme?
Le trait était prodigieux.
Tu te moquais de la pudique flamme
Qui brûlait autrefois nos stupides aïeux,
Et tu trouvais miraculeux
Que ce monsieur se servît de son âme.

Tu savais des amans du jour,
Les arrangemens, les ruptures,
Les congés, les billets, les intrigues obscures
Des nouveaux-arrivés qu’on supplante à leur tour,
Et les meilleures aventures
Des danseuses et de la cour.

Tu parlais haut, tu faisais l’analyse
Ou d’une pièce ou d’un roman,
Et tu jugeais dans un moment
L’ouvrage qu’une muse assise
Dans le fauteuil qui rend savant,
Avait dessiné lentement
Pour la postérité surprise.

Comme il l’aut s’occuper un peu
Pour suivre le temps qui s’envole,
Tu jouais sans aimer le jeu;
Quand tu perdais sur ta parole,
Sans daigner pendre de l’humeur,
Tu griffonnais d’un air frivole
Un billet payable au porteur.

Sous ces orangers où chantèrent
La Fare et son ami le Prieur d’Oléron,**)
Dans ce temple où les précédèrent
Tibulle, Horace, Anacréon,
Franchissant les routes battues
Par ces chantres ingénieux,
Tu voulais, jeune paresseux,
Contempler de près les statues
De leurs Muses et de leurs Dieux:
Et tu pensais que l’avenue
Où tous ces aimables goutteux
Hument encore des vins vieux,
Allait apparaître à ta vue;
Que les sons négligés et trop présomptueux
De ta muse presqu’inconnue
Charmeraient un jour avec eux
L’âme et l’oreille encore émue
Des derniers fils de nos neveux.

Tu faisais des vers trop faciles.
Il faut gravir au Pinde où tu voulais voler;
La gloire ne sourit qu’aux travaux difficiles:
C’est une vierge, ... il faut la violer.

Aux erreurs qui trompaient ta vie,
Aujourd’hui tu fais tes adieux.
Je suivrai tes leçons, et ne demande aux
Dieux Qu’un ami tendre et qu’une sage amie.

Allez, allez, décevante folie!
Je ne veux plus de vous, je ne veux qu’être heureux,
Que cultiver, obscur et vertueux,
Mes champs et la philosophie.

A Laïs, au regard moqueur,
Je n’offre plus ma bonhomie;
Phryné veut de l’argent; moi, je veux du bonheur:
Il ne s’achète pas, et le jargon m’ennuie.
Dans son alcôve, entre s es bras,
Je ne lasse plus sa mollesse ...
Et puis je veux que ma maîtresse
Ait encore plus que des appas.

J’ai reconnu qu’il était incommode
De devoir à tout l’univers;
En payant les billets divers
Que je signai quand j’étais à la mode,
J’ai promis très-décidément
De respecter mon héritage;
Je réalise prudemment
Le projet que j’eus d’être sage.

J’ai jeté des regards d’effroi
Sur mes plaisirs indiscrets et coupables;
Je ne vis plus avec les agréables
Qui sont trop sublimes pour moi;
Et ce qui plus m’étonne encore,
C’est que maintenant je conçois
Que l’on s’épouse et qu’on s’adore.
Malheureux! je crus autrefois
Que la chose était impossible.
Hé bien, puisqu’un mari peut paraître sensible,
J’en fais serment, si jamais je le suis,
Je prétends régaler madame
D’une si conjugale flamme ...
Qu’un jour elle en mourra d’ennuis.

Dans les foyers, dans les coulisses,
Je ne vois plus l’encan de chaque jour;
Je ne sais plus par chœur l’amour
Des duchesses et des actrices;
Je ne voix plus être au courant.
De ces brillantes bagatelles,
Et de ces courtes étincelles
Que fait pâlir le feu du sentiment.

Je recherche une femme honnête
Qui veuille se laisser aimer,
Dont le chœur gouverne la tête,
Et que le mien puisse estimer;
Dont l’âme devine la mienne,
Pour qui mes goûts soient des plaisirs,
De qui la raison me soutienne:
Qui prenant ma main dans la sienne,
Recueille mes derniers soupirs.

Des auteurs distingués je n’ose plus médire;
De rendre des arrêts je me suis corrigé.
O mes amis, qu’il est difficile d’écrire!
Moi, je ne juge plus, de peur d’être jugé.

Ce n’est plus le jeu qui m’occupe;
J’aime mieux exercer mon esprit, ma raison:
Après avoir trop longtemps été dupe,
Je n’ai pu me résoudre à me faire fripon.

Mais je n’ai pas guéri de la métromanie;
Mais, capricieuse et jolie,
Erato charmera mes jours;
Et si l’amante est quelquefois sauvage,
L’amant ne sera point volage:
Elle aura mes derniers amours.

O vous! l’objet de mon idolâtrie,
Objet d’une immortelle ardeur;
O vous ! des ennuis de ma vie
Ange doux et consolateur,
Tournez vers moi ce regard séducteur;
Mon âme, mon unique amie!
Inspirez-moi des vers purs comme mon bonheur.
Qu’ils vous plaisent alors, et ma tâche est remplie:
Un accessit à votre chœur
Vaut un prix à l’Académie.




*) [Fußnote]Da diese Epistel den Verfasser so treffend und ganz charakterisiert, so durfte sie um so weniger hier weggelassen werden. Uebers.
**) [Fußnote]Chaulieu.

Dieses Kapitel ist Teil des Buches Die Memoiren des Grafen von Tilly. Erster Band